Les négociations en vue de la formation du gouvernement font du surplace. Après le tête-à tête orphelin le 29 juin dernier entre le président de la République, Michel Aoun, et le Premier ministre, Nagib Mikati, qui a soumis au président une mouture concoctée de manière unilatérale et considérée, dans la forme comme dans le fond, comme « provocatrice » par le camp aouniste, le bras de fer se corse. Les échanges acerbes depuis quelques jours via les médias entre M. Mikati et le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, les accusations et contre-accusations, les conditions préalables et les surenchères donnent à croire qu’en définitive personne ne semble pressé. Pire encore : aucun des protagonistes principaux ne donne l’impression qu’il a intérêt à ce que ce gouvernement, à la durée de vie très courte (jusqu’à l’expiration du mandat présidentiel le 31 octobre), ne voie le jour tant les enjeux d’avenir pour les uns et les autres sont considérables.
Comme à son habitude, le Hezbollah joue au médiateur dans les coulisses pour tenter de débloquer la crise, sans grand succès pour l’heure. « La problématique n’est pas de savoir qui a intérêt ou pas à ne pas former un gouvernement, mais plutôt de quel gouvernement s’agirait-il et avec quels équilibres politiques », commente Jean Aziz, ancien conseiller du président Aoun et analyste politique. Comprendre qu’aux yeux des principaux acteurs, c’est l’influence qu’ils peuvent respectivement conquérir au sein du futur cabinet qui compte, pour pouvoir mener le jeu d’ici à la présidentielle et par-delà cette échéance. L’Orient-Le Jour fait le tour de ces agendas et des enjeux liés à la formation du gouvernement.
Le camp aouniste
Il faut partir du constat évident que les désirs du chef de l’État sont ceux de son gendre, Gebran Bassil, à qui il veut garantir la poursuite d’une carrière politique. Baabda veut s’assurer de la mise en place d’un gouvernement sur lequel le CPL a une emprise importante. Ce sera cela ou rien. Bien qu’il répète à l’envi qu’il ne fera pas partie du prochain cabinet, tout en laissant la porte ouverte à un éventuel changement de position, il va sans dire que c’est bien Gebran Bassil qui négocie dans les coulisses. « C’est une tactique, car le chef du CPL sait que son camp pourra toujours prétendre à la part du lion sachant que les autres chrétiens (à l’exception des Marada) se sont déclarés hors jeu, les FL et les Kataëb ayant refusé de participer au futur cabinet. M. Bassil sait parfaitement que ce qu’il n’obtiendra pas pour lui-même reviendra systématiquement au chef de l’État », dit une source aouniste sous couvert d’anonymat. Mais si le camp de Baabda n’obtient pas ce qu’il souhaite, il préférerait que l’équipe actuelle démissionnaire reste en place, un moindre mal qui n’affecterait pas le CPL qui y détient sept ministres sans compter ses alliés.
« Quel que soit le scénario, Gebran Bassil veut se réserver dès à présent un siège au premier rang pour la période à venir, notamment lorsqu’il y aura une conférence internationale sur l’avenir du Liban, pour avoir son mot à dire », décrypte pour sa part Jean Aziz. Selon lui, même le cas de figure d’un vide à la magistrature suprême ne porterait pas préjudice au chef du CPL, puisque son emprise sur l’arène politique restera, du fait de son alliance avec le Hezbollah, assez solide. Sauf que le duo aouniste pourrait recourir à une manœuvre plus pernicieuse qui justifierait un refus de Michel Aoun de quitter le palais. « Dans une certaine mesure, un gouvernement démissionnaire pourrait servir les desseins du chef du CPL, puisque Michel Aoun a déjà laissé entendre qu’à l’expiration de son mandat, il ne remettrait pas le pouvoir à un gouvernement démissionnaire », rappelle une figure politique proche du 14 Mars sous couvert d’anonymat.
Mais pour le camp aouniste, le discours est officiellement en faveur de la formation d’un cabinet. « Je ne vois pas du tout comment le président aussi bien que le CPL trouveront leur compte avec un gouvernement démissionnaire. Mieux vaut qu’il y ait un exécutif de plein pouvoir pour un président en fin de parcours. Mais cela ne se fera pas à n’importe quel prix », dit Alain Aoun, poids lourd du CPL.
Nagib Mikati
L’idée commune est que le Premier ministre désigné n’a pas grand-chose à perdre dans tous les cas de figure. Non seulement il sait que le temps n’est plus en faveur du camp aouniste, mais que ce dernier ne peut imposer ses conditions comme il le faisait auparavant. D’abord parce qu’il n’a plus la majorité au sein du Parlement, mais aussi parce que le chef du CPL n’est pas dans les bonnes grâces de la communauté internationale. « Gebran Bassil a mille et un problèmes à régler pour pouvoir aujourd’hui prétendre à la présidence. Il n’a plus le même appui à l’intérieur ni à l’extérieur », confie une figure aouniste critique du chef du CPL. C’est sur ce dernier point que Nagib Mikati, qui jouit actuellement du soutien de la communauté internationale, a une longueur d’avance sur le chef du CPL. On le sait déjà : en cas de vacance présidentielle, même un gouvernement démissionnaire peut concentrer entre ses mains les prérogatives du chef de l’État, comme le prévoit l’article 62, à titre intérimaire. Autant d’arguments qui pourraient expliquer l’intransigeance du Premier ministre désigné qui, après avoir arraché le ministre de l’Énergie des mains des aounistes pour la confier à un sunnite (selon la première mouture), refuse à ce jour d’accorder en contrepartie le ministère de l’Intérieur (confié ces dernières années à un sunnite) au chef de l’État qui réclame une prime de compensation. Nagib Mikati joue le tout pour le tout, d’autant qu’il n’a pas autant à perdre que les autres. Une thèse que Jean Aziz refuse d’avaliser. « L’idée qu’une équipe démissionnaire arrangerait M. Mikati est infondée même s’il continuera de jouir d’un certain pouvoir d’un point de vue opérationnel et constitutionnel », dit-il. Selon lui, Nagib Mikati souhaite plutôt un cabinet qui fasse preuve de cohésion, ne serait-ce que « pour parler d’une même voix dans les négociations internationales sur des dossiers aussi cruciaux que l’accord avec le Fonds monétaire international ou le tracé de la frontière maritime », dit M. Aziz.
Le Hezbollah
Officiellement, le mot d’ordre est à la naissance d’un cabinet le plus tôt possible pour stopper la chute libre de l’économie et ses effets tragiques sur la base populaire du parti chiite. « Personne au Liban n’est aussi attaché à la formation du gouvernement que le Hezbollah », assure un responsable du parti de Dieu. « Ne voyez-vous pas l’état de misère dans lequel se trouvent aujourd’hui les Libanais ? On ne peut se permettre le luxe des tiraillements, des ambitions personnelles des uns et des autres », dit-il dans une critique qui semble viser le Premier ministre autant que le président de la République et son gendre. Dans la logique défendue par le parti chiite, un gouvernement démissionnaire ne fera pas plus que ce qu’il a fait depuis deux mois, c’est-à-dire quasiment rien. « Ce serait un scénario suicidaire », renchérit un analyste proche des milieux du Hezbollah.
À en croire la déclaration hier du secrétaire général adjoint du parti, cheikh Naïm Kassem, un cabinet démissionnaire n’est certainement pas un choix que le Hezbollah favorise. « Il ne pourra pas rendre compte de ses actes devant le Parlement », a dit le dignitaire chiite. Un argument peu convaincant lorsque l’on sait que même des gouvernements de plein pouvoir ont rarement fait l’objet de sanction politique dans l’hémicycle.
C’est toutefois à demi-mot que le responsable du Hezbollah cité plus haut avance l’un des motifs qui ferait craindre au parti chiite une crise gouvernementale prolongée. « Le Liban serait alors dans une paralysie de toutes ses institutions, ce qui justifierait alors un report de l’élection présidentielle. »Sauf que l’enjeu réel pour le Hezbollah serait à rechercher ailleurs. À l’instar de Gebran Bassil, le parti chiite tient certes à un gouvernement sur lequel il pourra toujours exercer son influence afin de s’octroyer une couverture pour son arsenal. « Si cette condition n’est pas assurée, le Hezbollah préférerait alors l’écroulement du système qui est une option de loin meilleure pour lui qu’un gouvernement qui ne lui est pas partiellement soumis », conclut Jean Aziz.
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Irene Said
11 h 00, le 07 juillet 2022