Le président français, Emmanuel Macron, arrivé lundi soir à Beyrouth pour sa deuxième visite au Liban depuis la double explosion tragique du 4 août, a prévenu les dirigeants libanais qu'ils s'exposeraient à des sanctions s'ils ne parvenaient pas à tracer dans les trois mois un nouveau cap pour un pays qui traverse sa pire crise depuis des décennies. Face à la colère grandissante de la population, qui dénonce l'incurie du pouvoir et la corruption, il entend "accompagner cette pression des Libanaises et des Libanais" pour convaincre la classe politique de changer. Il a ainsi annoncé qu'il reviendrait une nouvelle fois au Liban en décembre.
"C'est la dernière chance pour le système (libanais), a déclaré M. Macron dans des propos rapportés ce mardi par le site d'information américain Politico au lendemain de la désignation du Premier ministre Moustapha Adib, chargé de former un gouvernement après la démission du cabinet de Hassane Diab dans la foulée de la double explosion du port, qui a fait plus de 190 morts. "C'est un pari risqué que je fais, j'en suis conscient... Je mets sur la table la seule chose que j'ai : mon capital politique", a-t-il poursuivi. Le président français prévient dans cette interview que les trois mois à venir seront "cruciaux" pour qu'un véritable changement intervienne au Liban. Dans le cas contraire, ajoute-t-il, il se dit prêt à "changer d'approche et à soutenir des mesures punitives" allant d'un gel du plan international d'assistance financière au Liban à des sanctions contre la classe dirigeante.
"Aucune naïveté"
Emmanuel Macron a discuté avec les principaux responsables politiques au cours d'un déjeuner au palais présidentiel, avant de se réunir longuement avec eux dans la soirée à la résidence des Pins. Il échange en tête à tête avec les leaders des forces politiques libanaises. Il a également rencontré le patriarche de l'Eglise maronite, Béchara Raï, qui multiplie les appels depuis plusieurs semaines en faveur d'une "neutralité" du Liban. Parmi les autres personnes rencontrées figure le nouveau Premier ministre, Moustapha Adib, nommé quelques heures avant l'arrivée de M. Macron. Inconnu des Libanais, cet universitaire de 48 ans, était jusqu'à présent ambassadeur en Allemagne. Emmanuel Macron a fait connaissance avec lui lundi soir, avant de le retrouver mardi au palais présidentiel de Baabda. Pour lui, la nomination de M. Adib en quelques semaines et non "en six mois" est "un premier signe" de changement. Mais "je n'ai aucune naïveté" et "je vais pousser" pour que le nouveau Premier ministre forme sans délai "un gouvernement de mission" capable de "lancer des réformes" structurelles, a-t-il ajouté dans un entretien au site français Brut.
La mise en œuvre de "véritables réformes", pour une meilleure gouvernance et contre la corruption endémique doit permettre au Liban de bénéficier d'un soutien international de plusieurs milliards d'euros, jusqu'à présent bloqués par l'impasse politique. Avec les responsables libanais, "ma position est toujours la même : celle de l'exigence sans ingérence", avait martelé Emmanuel Macron dès son arrivée lundi.
Dans un signe de la volonté des autorités à endiguer la corruption, le ministre démissionnaire des Finances Ghazi Wazni a signé mardi des contrats avec les cabinets KPMG, Oliver Wyman et Alvarez & Marsal pour l'audit juricomptable de la Banque du Liban, une demande pressante du Fonds monétaire international et de la France.
M. Macron a indiqué au site Brut qu'il y aurait "un mécanisme de suivi" aux discussions qu'il mène avec les responsables politiques "en octobre puis en décembre". "Je reviendrai en décembre", a-t-il précisé. "On ne libérera pas l'argent du programme CEDRE", la conférence de soutien au Liban parrainée par Paris en 2018, "tant que ces réformes ne sont pas enclenchées sur le calendrier qui a été prévu", a-t-il prévenu. En assurant qu'il allait "mettre le poids pour que ces réformes passent par un engagement des forces politiques".
Les discussions avec les responsables politiques fait partie des points les plus sensibles de la visite d'Emmanuel Macron, notamment avec le Hezbollah. De nombreux pays occidentaux, dont les Etats-Unis, refusent tout contact avec le parti chiite en raison de ses liens avec l'Iran et de ses activités "terroristes". "On ne partage pas ses valeurs, mais est-ce que nous pouvons avoir un rôle utile en refusant qu'il soit autour de la table? Je pense que ce serait une erreur", a justifié Emmanuel Macron à Brut.
Déjeuner à Baabda
Au palais présidentiel de Baabda, Emmanuel Macron a été reçu à déjeuner après une courte cérémonie protocolaire par le chef de l'Etat, Michel Aoun, en présence du président de la Chambre, Nabih Berry, du Premier ministre désigné Moustapha Adib et du chef du gouvernement sortant Hassane Diab. Etaient également présents les chefs des groupes parlementaires, les ambassadeurs des pays européens et de certains pays arabes, ainsi que les membres du groupe d'amitié Liban-France, selon des informations de notre correspondante à Baabda Hoda Chedid.
Pour l'occasion, les Alpha Jets de la Patrouille de France ont effectué un survol de Baabda aux couleurs du drapeau libanais, rouge, blanc et vert, quelques heures après avoir effectué un survol similaire au-dessus de Jaj, où le président français a planté un cèdre.
A cette occasion, le président Aoun a tenu un court discours axé sur le centenaire du Grand Liban. "Même si la célébration de ce moment historique est aujourd’hui réduite à sa plus simple expression, l’émotion est là. D’autant plus vive que le Liban traverse actuellement une période de grande souffrance occasionnée par un effondrement économique et financier, une crise sanitaire du Covid-19 et une tragédie sans précédent avec l’explosion du port de Beyrouth (...) Devant un tel acharnement, deux possibilités : baisser les bras ou garder espoir. Notre histoire nous a appris à nous relever, rebâtir et regarder vers l’avenir", a déclaré le chef de l'Etat libanais. "L’espoir repose à présent sur la formation d’un nouveau gouvernement capable de lancer les réformes nécessaires afin de sortir le pays de la crise actuelle. L’espoir, c’est surtout de faire de nos souffrances un tremplin pour devenir un Etat laïc où la compétence est la norme et la loi le garant de l’égalité des droits".
Selon un enregistrement envoyé à L'Orient-Le Jour, Emmanuel Macron a pour sa part affirmé aux responsables libanais au cours du déjeuner que son pays sera là "avec la même amitié, la même fidélité, fidélité dans cette histoire et ce qui l'unit, une exigence de souveraineté et l'amour inconditionnel de la liberté (...)". "Voilà ce que je voulais vous dire en cette journée. Elle n'est pas une simple célébration, mais je l'espère bien, le début d'une nouvelle ère. Je ne sais pas ce que les prochains mois apporteront, mais une chose est sûre : si l'appel (du général Gouraud en 1920, NDLR) à dépasser les intérêts personnels n'est pas entendu, la promesse aura été trahie", a également prévenu M. Macron. Selon des informations de la chaîne LBCI, le président français s'est dit prêt à intervenir en cas de besoin pour éliminer les obstacles, sans que cela ne soit synonyme d'ingérence dans les affaires libanaises".
Dans une tribune publiée dans Le Figaro le 30 août et intitulée "Beyrouth blessée et le Liban tout entier saluent l’élan fraternel de la France", M. Aoun affirme qu'"après la double explosion qui a ravagé Beyrouth, le soutien immédiat de la France au pays du Cèdre et sa sollicitude, manifestés par le chef de l’État français lui-même, ont fait chaud au cœur et offert de l’espoir aux Libanais endeuillés et accablés". "Une fois encore, la France mérite la gratitude du Liban et de son peuple", ajoute le chef de l'Etat libanais. "Nos modes de pensée, nos méthodes d’action et nos vieux réflexes, devenus inadaptés et en décalage avec les attentes de la population, devront être modifiés", reconnaît encore le président Aoun.
De son côté, le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, a transmis à Emmanuel Macron, ainsi qu'aux chefs des groupes parlementaires qui se sont entretenus avec le président français à la résidence des Pins, une copie de la "feuille de route pour le salut du Liban" comprenant un volet économique et financier, proposant un programme de réformes à mettre en œuvre par le prochain gouvernement, et un volet constitutionnel et politique, proposant une amélioration du système vers un Etat civil et un accord sur les grands dossiers conflictuels à travers un dialogue national présidé par le chef de l'Etat.
Conférence internationale en octobre
Dans la matinée, le président français s'est entretenu dans le secteur dévasté du port de Beyrouth avec des représentants de l'ONU et des ONG locales sur le porte-hélicoptères Le Tonnerre, arrivé le 14 août avec 750 hommes et 150 véhicules. Les six prochaines semaines doivent être "concentrées" sur l'urgence. Pour l'étape d'après, le chef de l'Etat a ajouté que Paris était prêt à organiser une conférence internationale à la mi-octobre pour étudier les moyens pour venir en aide au Liban. "Il faut qu'on continue à mobiliser toute la communauté internationale (...) Je suis prêt à ce qu'on réorganise, autour peut-être de mi-fin octobre, une conférence internationale de soutien avec les Nations unies", a-t-il déclaré lors de cette rencontre. "Je suis tout à fait prêt même à l'accueillir à Paris (...), qu'on puisse à nouveau demander un soutien à tous les Etats pour financer" les besoins sur le terrain, a promis le président français, insistant sur la nécessité d'une coordination "très ferme" avec l'ONU.
Lors de sa rencontre avec les représentants de la société civile, le président français a dressé un premier bilan des aides acheminées vers le Liban et les défis, notamment organisationnels, auxquels les ONG sont confrontées. Certains se sont plaints d'un manque de transparence ou d'adéquation entre les besoins réels et les aides envoyées. "On n'a pas une bonne évaluation de l'aide depuis le 4 août. On voit des avions arriver mais on ne sait pas où va l'aide. 80% des médicaments qui arrivent au Liban ne sont pas adaptés", a ainsi déploré Antoine Zoghbi, le président de la Croix-Rouge libanaise.
De son côté, le bâtonnier de Beyrouth, Melhem Khalaf, qui a également participé à cette rencontre, a insisté sur l'importance de "l'Etat de droit" et dénoncé l'absence de "responsables" au sein de la classe politique libanaise. "J'ai compris qu'il y avait une défiance à l'égard des pouvoirs publics libanais ou un sentiment de défaillance", a répondu M. Macron. "Le défi que vous évoquez est un défi organisationnel dans un climat (...) où la défiance est un poison". "Il me semble que si on veut essayer d'aider au mieux (...) c'est de travailler sur la plateforme des Nations unies en lien avec vous pour qu'on puisse avoir une expression des besoins (...) et une traçabilité de tout de ce qui arrive", a-t-il ajouté. "On va continuer d'appuyer et faire le maximum auprès des Etats qui donnent", a conclu le président français.
Le président français est également monté sur un navire de la CMA CGM, venu de Marseille avec à son bord plus de 2.500 tonnes d'aide humanitaire, avant de rencontrer les équipes françaises du déblaiement du port. Sur un autre plan, M. Macron a annoncé que sept millions d'euros supplémentaires allaient être débloqués dans le cadre de "l'effort de reconstruction des écoles". Et dans l'après-midi, il s'est rendu à l'hôpital gouvernemental Rafic Hariri de Beyrouth, un établissement en première ligne dans la lutte contre le Covid-19.
commentaires (17)
Tout simplement... "Vous voulez sauver le pays? Alors au boulot, allez chercher La Liberté car elle ne se donne pas elle se prend." Sissi zayyat Liban, lève-toi !!!!!
MAILLARD Serge
12 h 22, le 02 septembre 2020