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Nos Lecteurs ont la Parole - Yalda C. SACRE

La saison des émigrés

Il y a ceux qui veulent rester.
Il y a ceux qui ont hâte de partir.
Il y a ceux qui ne voulaient pas venir mais qui, à cause de la culpabilité envers papa et maman, ont dû échanger leur billet pour le Pérou par une place dans un avion en partance pour le Liban.
Il y a ceux qui s'éternisent. Qui reportent la date du départ jusqu'à bouffer tous leurs jours de congé, RTT compris.
Il y a aussi ceux qui reviennent, mais qui n'étaient jamais vraiment partis. Qui sont restés figés dans l'époque de leur départ. Qui se souviennent de lieux qui n'existent plus, de moments par tous oubliés. Qui parlent un dialecte qui même dans leur village natal s'est perdu.
Et il y a ceux qui viennent dix ans, vingt ans après, pour s'étonner de tous ces changements et constater la perte de leurs repères.
Il y a ceux qui sont restés étrangers là où ils sont. Corporellement transposés. Incapables de s'acclimater. Transcrivant leur Liban dans leur quotidien.
Il y a ceux qui reviennent en étrangers. L'accent alourdi par des années de lutte pour l'adaptation.
Il y a ceux qui sont là pour juste trois jours. Ceux-là ils font des sauts réguliers. Ils sont à Doha, à Dubaï ou à Riyad.
Il y a ceux qui viennent quelles que soient les circonstances. Qu'il vente à Ersal ou qu'il pleuve à Tripoli. Que la route de l'aéroport soit semée de barricades ou qu'Israël ait menacé de bombarder. Ils sont là à chaque occasion. Ne ratant jamais un mariage dans la famille, sautant sur toutes les occasions pour revoir le pays.
Puis il y a ceux qui viennent avec trois valises et des plans clichés plein la tête : Rikkyz, Iris et Uruguay Street. C'est des « must ». Ceux-là, faut leur réserver la priorité. Mieux vaut annuler les meetings et les parties de cartes de routine pour se plier à leur plan-horaire puisqu'ils risquent de ne pas revenir avant longtemps, ou du moins pas avant l'an prochain. Montréal, Sydney, Boston et la Californie, ce n'est pas la porte à côté.
Il y a ceux qui viennent entraînant leur bande de copains étrangers. Tout fiers des plages et des boîtes de nuit de leur Liban.
Il y a aussi ceux qui ne sont pas venus. Qui ne veulent plus revenir. Qui veulent oublier.
Dans l'autre versant, il y a les autres. Ceux qui sont restés là. Ceux qui attendent à l'aéroport ou à la maison en préparant la tabboulé du premier soir. Ceux-là qui, après le départ, rendront la voiture louée et attendront la prochaine saison des émigrés comme on attendait il y a quelques décennies la saison de la soie.
C'est pour eux la vie à 100 à l'heure. Avoir le temps de passer embrasser la tante australienne, dîner avec le cousin français, organiser une soirée avec le pote américain, un petit café avec l'ami qatari, profiter autant que possible des petits neveux canadiens et surtout ne pas oublier d'appeler le cousin nigérien pour lui souhaiter bon retour... et puis le vide...
Surtout ne pas s'attacher. Surtout pas d'illusion. Non ! Le bon vieux temps n'est pas de retour. Ils ne sont là que pour un petit moment. Surtout garder en vue le départ dont l'idée de Facebook, Tango et WhatsApp tentera d'atténuer la froideur.
Et le ballet continue dans le petit pays le plus éparpillé au monde.
Puis vient septembre. Au Liban, septembre est encore plus morose et mélancolique que dans n'importe quel autre pays. Non, ce n'est pas à cause de la rentrée. Ni à cause de ces nuages qui commencent à se faufiler par le Sud. Ni de cette brise légère qui change l'odeur de la terre. C'est à cause du balai.
En septembre, on balaie les halls de l'aéroport comme pour les salles après une fête.
Le ballet de juillet-août fait place au balai de septembre.
C'est la fin de la saison des émigrés.

Yalda C. SACRE

Il y a ceux qui veulent rester.Il y a ceux qui ont hâte de partir.Il y a ceux qui ne voulaient pas venir mais qui, à cause de la culpabilité envers papa et maman, ont dû échanger leur billet pour le Pérou par une place dans un avion en partance pour le Liban.Il y a ceux qui s'éternisent. Qui reportent la date du départ jusqu'à bouffer tous leurs jours de congé, RTT compris.Il y a aussi...

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